Publication de "Discographisme recreatif"

Publication de "Discographisme recreatif"

Assemblage de Patrice Caillet - En Marge / ed bricolage - octobre 2009

Exposition "Insiders" au CAPC - Musée d'art contemporain de Bordeaux du 9 octobre au 7 février 2010

Présentation du livre à la librairie du Palais de Tokyo le jeudi 29 octobre à 19 h

Salon Light au point Ephémère, vendredi 6, samedi 7 et dimanche 8 novembre, au 200 quai de Valmy, Paris

Surboum approximative à Vinyl office (Disquaire d'occasion) le samedi 14 novembre, au 9 rue Trousseau - Paris 11ème

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Discographisme récréatif
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On s’est tous laissés aller, un jour, à gribouiller ce qui nous passait par la tête sur ce qui nous tombait sous la main : un barbouillage impulsif, telle une carie sur le sourire béat d’une couverture de magazine, ou peut-être aussi quelques annotations lapidaires, un dessin hasardeux sur la pochette d’un disque…
Discographisme récréatif est un travail à la fois documentaire et « assemblagiste » commencé en 1996. Il se compose de différents montages iconographiques élaborés à partir de pochettes de disques. Une particularité, ces pochettes au format 45 tours, 33 tours et CD, trouvées pour la plupart au marché aux puces, ont toutes été refaites ou modifiées par des inconnus ayant utilisé l’originale comme support ou comme source d’inspiration. S’inscrivant dans un processus commercial, la pochette de disque en tant qu’outil logistique de l’industrie culturelle est avant tout un packaging, dont la fonction est de « stimuler l’attrait de la nouveauté chez le consommateur en sublimant son contenu par l’image ».
L’image de l’idole pop faisant souvent l’objet d’une réelle sacralisation, le mélomane peut entretenir avec ce support une relation particulière. D’une manière générale, peu nombreux sont ceux qui se risquent à intervenir sur la surface immaculée d’un bien de consommation et les pratiques de collection excluent toute intervention sur l’original : l’image commercialisée, inébranlable icône, est considérée comme finie. Pourtant, cela s’est déjà vu : un organe sexuel grossièrement dessiné sur une starlette, ou encore, à l’image des moustaches ajoutées sur Mona Lisa, une varicelle pointilliste improvisée au feutre mauve sur le portrait d’une « vedette »… La personnalisation la plus fréquente, souvent dans une perspective utilitaire, consiste à apposer sa signature sur la pochette ou à y inscrire une dédicace, la date ou le lieu d’achat du disque ; c’est là un premier acte d’appropriation. Cependant, l’intervention peut être plus aventureuse : signes d’attachement débridés affichés en toute liberté sur une icône pop d’occasion le temps d’une chanson, ou réactions épidermiques de dérision à l’égard de « modèles », transgressant les conventions et les usages consuméristes.

Sous l’influence de chansons sentimentales, les marques d’affection, les souvenirs de rencontre, les déclarations d’amour ou de rupture sont des plus fréquents. Des sentiments personnels se font jour :
confessions intimes, témoignages de moments de vie particuliers, liés à l’écoute d’un morceau de musique…
L’usage conventionnel du disque se trouve prolongé, par une appropriation totale de son support, dans une relation devenue intime et concrète. Au cours de nombreuses pérégrinations lors de vide-greniers, j’ai eu l’occasion de discuter avec les propriétaires de ces pochettes. Certains, en redécouvrant leurs oeuvres passées, parlent avec plaisir de leur intervention sur un disque, liée à des souvenirs personnels ou musicaux, d’autres semblent embarrassés de dévoiler ainsi une trace de leur intimité, voire gênés de révéler la part de naïveté ou l’éventuelle maladresse de leur ouvrage. De nombreuses pochettes se trouvent couvertes d’inscriptions timides ou inachevées, de tracés aléatoires, de caviardages bâclés. Ce sont souvent de simples gribouillages, biffures, retouches, découpages, scotchages. Mais dans d’autres cas se distingue un travail plus élaboré, qu’il soit dessin, collage, peinture, customisation, montage infographique…

Ces productions réalisées en dehors des cadres protocolaires de la création artistique (elles n’ont pas été nécessairement créées pour être « montrées ») apparaissent comme stéréotypées car indéniablement liées à la consommation de masse et donc assujetties à ses codes. Il ne s’agit pas ici de porter un jugement esthétique, mais de faire des hypothèses quant aux conditions de leur création, de relever un contenu sensible, revendicatif, fantasmagorique ou poétique…
Quelques éléments qui ont motivé leur conception :
- La perte de la pochette originale : l’utilisation des disques vinyles dans les surboums ou leur prêt a contribué à ce que les pochettes s’usent ou s’égarent ; d’où la nécessité de les refaire.
- Un travail de restauration, de consolidation, d’archivage : certains matériaux sont particulièrement prisés, tel le ruban adhésif, le carton d’emballage, le papier peint (apprécié pour ses couleurs vives et ses motifs ornementaux). Il est aussi très fréquent que, par souci d’information ou pour « coller » au modèle avec le plus grand sérieux, on ait scrupuleusement reproduit à la main le logo du label, et jusqu’aux numéros de série du disque.
- Un support d’écriture : des textes, des poèmes, des messages personnels comme « Je suis chez M. Nicot à tout à l’heure ! ». La pochette de disque peut faire office de bloc-notes : numéros de téléphone, opérations mathématiques, listes de courses, jeux.
- Une activité créative : geste simple d’assemblage d’éléments préexistants, d’images « ready-made » extraites de magazines, de catalogues publicitaires (stars, voitures, animaux, baignoires, paysages). Les illustrations sont parfois judicieusement déplacées de leur contexte originel, découpées et recomposées sous forme de collages. L’image commerciale est une source nouvelle d’inspiration, un « espace nouveau » dont on peut s’emparer…
- L’occasion d’émettre des revendications (« Peace and love », « Merde ! »), des propos fougueux (« Je t’aime, je t’aime » ; « Je te déteste tu es affreux ! »), des commentaires insubordonnés, absurdités, inepties relevant a priori d’une insouciance adolescente.
- L’expression spontanée de sentiments : le « fan » manifeste son attachement à l’égard de l’artiste (coeurs dessinés par des adolescentes sur le visage irradiant de leur idole). La pochette témoigne d’un fétichisme appliqué, d’une idolâtrie exacerbée et fonctionne ici comme un objet de dévotion. À l’inverse, d’autres portraits de stars pourront être étonnamment pervertis, violemment maculés : expression sarcastique de rejet, jugement lapidaire à l’égard de « popstars » subitement mises au ban du palmarès personnel de l’auteur, stars caviardées, ridiculisées sur une pochette spécialement modifiée pour l’occasion. - Une manière de s’extraire de l’ennui et de rompre avec certaines normes sociales. On peut interpréter cette activité solitaire comme un exutoire au conflit avec son environnement. La pochette de disque devient alors un objet à refaire, un modèle idéal à corriger, une image trop parfaite à revoir…
Ces images amateurs se font l’écho d’une expérience concrète du « banal », que l’on peut replacer dans une histoire de l’iconographie populaire avec ses référents sociaux, économiques ou culturels.

Ces expérimentations ludiques et imaginatives ont sans doute constitué pour beaucoup de jeunes une forme d’éveil artistique. Des réalisations déclinées sur plusieurs pochettes (« séries ») supposent une certaine démarche ou même un processus de création, elles renvoient indéniablement à une « intentionnalité » artistique. Bien souvent, la préciosité graphique voire l’approche « scolaire » relève d’une appropriation, timide, introspective, témoignant d’une candeur toute contemplative. Mais de temps à autre, l’intervention se fait plus originale, irrespectueuse à l’égard des « modèles » et des codes qu’ils véhiculent. C’est là l’occasion d’une réécriture des modèles culturels proposés, avec lourdeur ou habileté, ironie et passion…
Bien qu’il s’agisse de pratiques autodidactes, les pochettes refaites ou modifiées entrent en dialogue parfois presque mimétiquement avec les styles graphiques et les genres artistiques en vogue, qu’elles épousent, imitent ou dont elles cherchent au contraire à se distinguer. Une certaine corrélation s’établit entre ces différents « mondes de l’art » : communication de masse, art contemporain et art populaire…
On rencontre par exemple, à partir des années 1970, des réalisations beaucoup plus minimalistes que ne l’ont été les pochettes des années 1960, influencées par les exubérances du psychédélisme et du pop art. Depuis les années 1980-1990, les interventions semblent plus restreintes. Il est indéniable que le boîtier cristal du CD et la généralisation du « numérique » découragent toute intervention.
Mais peut-être est-ce aussi le fait d’une appréciation souvent « clinique » de la représentation actuelle. Ou, à l’inverse, cela traduit-il un effet de saturation, conséquence d’une opulence des images à l’ère de la surmédiatisation ? De plus, la viabilité d’un produit culturel étant d’autant plus limitée que son usage « se doit » d’être sans cesse renouvelé, l’appropriation deviendrait, à l’image du « tube de l’été », à la fois instantanée et éphémère.
On peut toutefois supposer que la copie de CD, le téléchargement et la popularisation des outils d’infographie participent d’un nouvel engouement pour le « bricolage » (« do it yourself »).
Les années passant, ces réalisations paraissent pour beaucoup naïves, maladroites, kitsch, datées car en complète inadéquation avec les critères d’appréciation esthétique contemporains et les modes de représentation en vigueur. Jugées sans intérêt informatif et esthétiquement médiocres, elles sont négligées, jetées et deviennent très difficiles à trouver.
La pochette personnalisée se situe à la fin du circuit économique du disque. Pour le consommateur méticuleux ou le collectionneur « discophile », elle n’aura plus de valeur affective ou marchande, elle sera estimée « souillée »… Dépossédée de sa fonctionnalité originelle et conçue dans un acte ultime d’appropriation, elle acquiert pourtant ici une nouvelle valeur représentative.
Du fait de propos souvent balbutiants, laconiques, d’un graphisme jugé très approximatif, ces pochettes peuvent être considérées comme relevant d’une pratique mineure et insignifiante. Cependant elles sont avant tout l’expression d’instants vécus, de tentatives esthétiques certaines, oscillant entre copie, stylisation, citation, détournement, projection, idéalisation, création, iconoclasme…

Patrice Caillet

Certaines pochettes présentées ici sont extraites
des « collections » de Bruno Lagabe, Yves
Cochinal et Pierre-Olivier Leclerc.

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........................................................................................................................................................................... Texte de Célio Paillard (L'autremusique.net)

Texte de Yves Cochinal collectionneur et auteur de pochettes de disques refaites ou modifiées

Texte de Julien Glaire Viconte